dimanche 2 août 2020

Transplantation cardiaque

Avec une collection de montres vintage, uns des plaisirs est de rassembler plusieurs modèles selon vos goûts et vos moyens. Avec l'offre sur le marché gris (eBay, Etsy ou même Kijiji et Marketplace), un collectionneur peut se constituer un bel ensemble de montres. Certains vont privilégier des modèles provenant d'une époque en particulier, d'autres vont viser un style précis (montre habillée, à chronographe, de plongée, etc.) ou vont se limiter à leur marque fétiche (comme quelqu'un qui ne collectionne que des Seiko, par exemple).

Un des avantages en se créant une telle collection est d'avoir la possibilité de porter une montre différente à chaque jour. On peut ainsi choisir une montre selon l'humeur du matin, ou qui s'adapte bien aux activités anticipées plus tard dans la journée.

Un des désavantages de se fier aux montres usagées comme garde-temps fonctionnels est le danger de bris. Après tout, ces vieilles mécaniques souffrent elles aussi de l'usure du temps, ce qui explique pourquoi, comme une automobile, les montres doivent être entretenues et révisées périodiquement.

Jusqu'à maintenant, j'ai été relativement chanceux. Même si j'ai un petit cimetière de montres hors-service dans mon atelier, toutes les montres dans ma collection sont fonctionnelles et gardent leur temps de façon raisonnable. C'est quand même étonnant de constater que la plupart ont plus d'un-demi siècle d'âge et fonctionnent encore. Tout va bien,  jusqu'à ce qu'une des pièces, usée par des décennies de travail assidu, décide de rendre l'âme!

C'est ce qui m'est arrivé avec une petite montre fabriquée par la marque américaine Westclox. Je l'avais trouvée en ligne et vu son état, elle était offerte à un prix très raisonnable. Voici la photo de la montre à son arrivée chez moi :
La montre est question, avec un verre craquelé de façon importante.
Photo : François Cartier
Le verre était très abîmé. En plus, la montre était assez sale (je n'ai jamais compris pourquoi certains ne se donnent pas la peine de nettoyer les articles qu'ils mettent en vente!). Mais cela peut jouer à l'avantage de quelqu'un qui sait redonner belle allure à ces petites négligées.

Comme on le voit sur la photo, les barrettes (qui tiennent le bracelet en place) sont couvertes de crasse et de vert-de-gris. Les barrettes sont faciles à changer et le boitier peut être poli sans trop d'efforts. Pour le verre, on installait de l'acrylique sur la plupart des montres peu dispendieuses de cette époque. Ce genre de plastique est facile à endommager, mais il peut se restaurer si on sait comment faire. Pour cela, j'utilise un simple bloc à manucure vendu en pharmacie. Il suffit de polir le verre assez vigoureusement pour en amoindrir l'épaisseur et enlever la couche qui contient les fissures. Au début, on a l'impression de faire plus de mal que de bien, car le verre prend une apparence laiteuse. Toutefois, avec l'application d'une crème de polissage pour plastique (soit du Polywatch ou du Novus), il est possible de redonner une belle apparence à la montre.

Le Westclox, avant et après un nettoyage et polissage du verre.
Photo : François Cartier
J'étais donc assez fier de la restauration esthétique effectuée sur cette modeste petite montre. Ceci a expliqué ma déception quand un jour la montre s'est arrêtée après seulement quelques heures à mon poignet. J'ai d'abord cru ne pas l'avoir assez remontée. En tournant la couronne, on entendait bien le typique son du cliquet, ce petit cran d'arrêt qui empêche le ressort de se détendre lors du remontage. Mais le "cric-cric-cric" habituel du cliquet était suivi d'un "clac" assez suspect. Encore un essai. "Cric-cric-cric... clac".

D'ordinaire, il suffit de tourner la couronne une quinzaine de fois avant de sentir une certaine résistance. Ceci signifie que le ressort est presque totalement remonté. Mais cette fois-ci, je remontais et remontais sans rien sentir de tel... en plus du "clac" inquiétant. La cause était évidente : un ressort-moteur ("mainspring" en anglais) brisé. Ce ressort est le coeur de la montre, la source d'énergie sans laquelle elle ne peut tout simplement pas fonctionner.

J'ai démonté une partie du mouvement pour sortir le ressort-moteur. En l'ouvrant, la cassure dans le ressort était bien apparente. Au fil des ans, le métal s'affaiblit et finit par céder.

Le ressort brisé à l'intérieur de son boitier.
Photo : François Cartier
Il est toujours possible d'acheter juste le ruban constituant le ressort et de le rembobiner dans le barillet (le petit boitier circulaire qui renferme le ressort). Mais la solution la plus simple est de trouver un mouvement complet et de substituer le barillet problématique par un autre.

Coup de chance, un détaillant en ligne vendait exactement le même mouvement. En général,  les mouvements Westclox ne sont pas très faciles à trouver. En plus, le vendeur était au Canada, ce qui signifiait un délai plus court pour l'envoi postal. J'ai donc reçu le petit mouvement après environ une semaine. le temps de la transplantation était arrivé!

La première étape consiste à ouvrir le dos de la montre pour avoir accès au mouvement. Ma Westclox a un dos vissé, alors il est facile d'enlever le dos avec le bon outil. À l'intérieur du boitier, un petit anneau de métal, qui aide à tenir le mouvement en place, doit aussi être enlevé.

Le mouvement de la montre, avec à gauche le dos de la montre et l'anneau qui tient le mouvement en place.
Photo : François Cartier
Il faut ensuite accéder au barillet qui contient le ressort-moteur. Dans ce type de mouvement, il se trouve sous le pont du barillet. Dans les mouvements de montres, les ponts sont de petites plaques de métal qui sont vissées par-dessus les rouages et autres pièces mécaniques afin de les protéger. Un mouvement typique peut avoir plus d'un pont. Le mien en a deux. Celui du barillet est identifié ci-contre en rouge.

Une fois le pont retiré, on peut maintenant voir le barillet du ressort-moteur. Dans l'image ci-dessous, il s'agit de la grosse roue dentelée qui est près du bas du mouvement. Le pont que je viens de retirer se trouve juste à côté.

Photo : François Cartier
Il faut noter en passant que le barillet est généralement la plus grosse pièce dans la mécanique d'une montre. Néanmoins, il s'agit quand même d'un tout petit objet. La photo ci-dessous nous aide à mettre sa taille en perspective.

Photo : François Cartier
Une fois le pont enlevé, il est possible de sortir le barillet du mouvement. Bien qu'il aurait été préférable d'enlever l'autre pont et les rouages qui se trouvent au-dessus du barillet, il est possible de sortir ce dernier du mouvement en l'attrapant délicatement avec une paire de brucelles (petites pinces d'horloger). Le "coeur" de la montre est maintenant sorti de son emplacement.

Photo : François Cartier

On entre alors dans la partie délicate de cette opération, c'est à dire de retirer le barillet fonctionnel du mouvement que j'ai acheté et l'insérer dans ma Westclox. Dans l'image ci-dessous, on voit à droite le mouvement de ma montre sans son barillet. À ses côtés se trouve le mouvement sacrificiel qui va bientôt faire don de son barillet.

Photo : François Cartier
Une fois le nouveau barillet mis en place dans ma montre, il ne reste ensuite qu'à remettre le pont en place. Les vis sont minuscules, alors il faut toujours prévoir un petit contenant pour les y entreposer pendant le processus. Il n'y a rien de plus facile que de perdre une vis qui ne mesure que quelques millimètres! On voit ci-dessus une de mes paires de brucelles qui positionne la vis dans son trou.

Photo : François Cartier
L'ultime étape de cette transplantation consiste à vérifier si le nouveau coeur va permettre à ma montre de revivre. Or, après quelques tours du remontoir, ma Westclox se remet en marche. Mission accomplie! Ci-dessous, un petit clip du mouvement en action :


Voici donc l'histoire de ma première transplantation cardiaque! J'ai déjà remplacé des mouvements au complet, une opération qui est relativement simple. C'est un peu comme changer le moteur V8 de votre vieille minoune pour un autre identique. Mais dans ce cas-ci, j'ai opté pour le don d'organe. Un autre patient de sauvé!

P.S. : en général, tant qu'à démonter une partie du mouvement et à changer une pièce, on en profite pour tout démonter et nettoyer l'ensemble du mouvement. Je ne suis pas encore arrivé à cette étape dans mes essais horlogers. De plus, il faut se procurer le bon équipement pour se faire. Ça viendra sûrement, un jour...

P.P.S. : avant qu'on me le dise, je sais aussi qu'il n'est pas idéal de travailler sur un montre en utilisant une petite serviette comme je l'ai fait. De la poussière ou des fibres peuvent s'en dégager et aller se loger dans le mouvement. Il faut vraiment que je m'équipe!!

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