dimanche 3 novembre 2019

Quatre horlogers anonymes!

J'ai depuis quelques temps une montre "vintage" de marque Waltham. C'est une montre à mouvement automatique que j'ai obtenue à bon prix et en très bon état. Elle venait avec un bracelet en métal doré, mais vu que je déteste les bracelets métalliques, je l'ai enlevé pour en mettre un en cuir brun. Après un peu de polissage et de nettoyage, elle avait l'air d'une neuve :

Photo François Cartier
Avant-hier, j'ai fait l'erreur de l'avoir au poignet alors que j'effectuais quelques travaux à l'extérieur. Des travaux... qui donnent chaud! Une fois revenu à l'intérieur, j'ai constaté qu'il y avait beaucoup de buée à l'intérieur du verre de la montre.

Je suis donc descendu dans mon petit atelier et j'ai vite vu que la buée était causée, comme je le pensais, par le dos du boitier qui était mal vissé. J'en ai donc profité pour ouvrir la montre, retirer le mouvement et bien nettoyer l'intérieur du verre. Je me suis dit que cela aiderait aussi à enlever l'humidité qui aurait pu s'accumuler dans le mouvement de la montre.

Photo François Cartier

Avant de remettre en place et visser le dos du boitier, j'en ai profité pour lui donner un petit polissage. C'est là que j'ai remarqué les inscriptions :

Photo François Cartier

En sortant ma loupe, j'ai pu en identifier quatre différentes :

Photo François Cartier

Photo François Cartier
Photo François Cartier

Photo François Cartier

On arrive très bien à les lire : "DP 11/72"; "SY 21 6 58"; "BK 10/96"; "14/1/70 DB". Je ne suis pas un Sherlock Holmes, mais il était évident qu'il s'agissait d'initiales et de dates. En fait, je voyais pour la première fois en personne un phénomène horloger bien intéressant : le marquage des dos de boitiers par les horlogers lors de l'entretien (ou la réparation) de montres. C'est un peu comme si votre mécano laissait ses initiales sur le bloc-moteur à chaque fois qu'il travaillait sur votre voiture.

Je ne pourrai probablement jamais retracer les horlogers qui ont travaillé sur mon montre. Mais ce phénomène n'est pas rare. En cherchant un peu sur le sujet, j'ai lu le témoignage d'un propriétaire d'une montre de poche ayant appartenu à ancien employé du Canadian Pacific qui possédait 35 marques de réparations, dont 33 faites par le même horloger!! En un sens, ces marques sont une merveilleuse façon de garder une trace de l'historique d'entretien d'une montre. En effet, pour les horlogers, c'était une bonne façon de garder une trace de leurs interventions, ou de savoir quand une montre inconnue avait été ouverte pour la dernière fois.

Dans le cas des compagnies de chemin de fer, la précisions des montres des cheminots était surveillée de très près. Un entretien était requis deux fois, et même quatre fois par mois pour s'assurer que les montres restaient précises à +/- 30 secondes par mois! En plus de garder une trace dans ses documents, l'horloger devait aussi laisser une marque dans la montre. On le voit bien dans le dos de cette montre Hamilton "Railway Special 992B" :

Sur cette photo du dos d'une montre de poche Hamilton, on voit 11 marques laissées par des horlogers au fil des ans.
Source : http://linuxfocus.org/~guido/hamilton-992b/

Certains collectionneurs, par contre, s'opposent à ce marquage et y voient plutôt une atteinte à l'intégrité matérielle de la montre. Une sorte de dommage volontaire qui affecte la valeur de la montre. C'est défendable. Tout dépend du point de vue!

Pour en revenir à ma petite Waltham, personnellement, je suis content d'y avoir vu ces marques. Premièrement parce que j'ai pu voir de mes yeux un exemple d'une tradition horlogère. Mais surtout, ceci m'a permis d'apprendre que ma montre avait été ouverte au moins quatre fois par un horloger : en en 1958, en 1970, en 1972 et en 1996. J'ai donc pu estimer que la date de fabrication de la montre se situe en quelque part dans les années 1950 (et donc plus ancienne que je ne le croyais). J'ai aussi vu qu'elle avait bien été entretenue, ce qui me permet d'espérer qu'elle continuera de fonctionner pendant encore plusieurs années, du moins jusqu'au prochain entretien dans son histoire... pour l'ajout d'une 5e marque!