mercredi 28 juin 2017

Les montres dans l'histoire

La traversée de la Manche... au sec!

Source : http://robsrolexchronicle.blogspot.ca
Il y a quelques jours, j'ai vu passer une publicité sur mon fil de nouvelles Facebook. Il s'agissait d'une marque française qui nous proposait une belle photo de ses montres... dans l'espace! La montre, une Yema Spacegraf, a été envoyée en ballon dans la stratosphère à 34 kilomètres d'altitude où il faisait -60C. Bien entendu, elle est revenue sur le plancher des vaches en fonctionnant à merveille! On offre même aux acheteurs de ce modèle la possibilité d'envoyer leur montre faire le même voyage stratosphérique, le tout filmé pour vos archives personnelles (ou pour vous vanter à vos copains!). 

Source : Facebook
Il s'agit là d'un coup de marketing bien pensé, même si un peu ridicule. Yema n'est toutefois par la première compagnie horlogère à tenter un tel "stunt" publicitaire. En fait, au début du 20e siècle, une firme bien plus prestigieuse a concocté son propre événement pour prouver la valeur de ses montres. La compagnie? Rolex, bien entendu!

En 1926, Rolex lance sur le marché la première montre étanche : la Oyster ("huitre"). Le concept était assez simple : tant la couronne, la lunette et le dos de la montre étaient solidement vissés en place, ce qui rendait le boitier parfaitement imperméable. 

Une Rolex Oyster de première génération.
Source : www.ablogtowatch.com/

Encore fallait-il le prouver! La solution : mettre la Oyster au poignet de Mercedes Gleitze. Cette dernière était une nageuse professionnelle britannique. En 1927, elle se propose de traverser la Manche à la nage. Déjà, en 1923, elle avait nagé pendant plus de dix heures dans la Tamise, un record pour l'époque. 

Mercedes Gleitze (1900-1981) en 1930.
Source : Wikipedia
Le 7 octobre 1927, alors qu'elle en est à son huitième essai (!), elle traverse la Manche en un peu plus de quinze heures. Son entraineur l'alimente en raisins et en miel. Pour combattre le froid, il lui donne aussi du thé fort et du chocolat chaud. À l'arrivée, épuisée, elle s'évanouit mais se rétablit rapidement. Gleitze est la première Anglaise à réaliser cet exploit (elle est la 11e à avoir réssit la traversée).

Mercedes Gleitze lors de sa traversée de la Manche.
Source : www.newsletter.co.uk
Quand certains mettent en doute son exploit, elle propose de récidiver sa traversée. Quand Hans Wilsdorf, co-fondateur et directeur général de Rolex, entend parler de cette nouvelle tentative, il y voit une occasion rêvée pour mettre en valeur sa toute nouvelle Oyster. Wilsdorf lui offre de garder la Rolex Oyster après la traversée en échange de son témoignage sur la performance de la montre.

La seconde traversée a lieu le 21 octobre. L'eau est encore plus froide que lors du premier essai. Dès le début, Gleitze ressent de fortes douleurs à cause du froid. Malgré les encouragements de la foule qui l'accompagne sur des bateaux, Mercedes est tellement éprouvée par l'eau glacée qu'elle perd graduellement le contact avec la réalité. Après dix heures de nage, elle est donc hissé, bien malgré elle, à bord d'un des bateaux d'accompagnement. Il lui restait encore 11 kilomètres à parcourir (sur un total d'environ 45 kilomètres). 

La nageuse est hissée hors de l'eau lors de sa seconde tentative, le 21 octobre 1927.
Source : www.gettyimages.ca (Topical Press Agency/Stringer; Hulton Archives)
Mercedes Gleitze bien déçue, est félicitée par toutes les personnes ayant assisté à sa seconde tentative. On est si impressionné par sa résistance et son endurance qu'on n'ose pas remettre en doute son exploit du 7 octobre. 

Pour Rolex, cette accolade générale est amplement suffisante. Mercedes Gleitze et son exploit (même si partiel la seconde fois) deviennent du bonbon pour leur département du marketing. Mercedes Gleitze elle-même n'eut que de bons mots pour la Oyster :

You will like to hear that the Rolex Oyster watch I carried on my Channel swim proved itself a reliable and accurate timekeeping companion even though it was subjected to complete immersion for hours in sea water at a temp of not more than 58 and often as low as 51. This is to say nothing about the sustained buffeting it must have received. Not even the quick change to the high temp of the boat cabin when I was lifted from the water seemed to affect the even tenour of its movement. The newspaper man was astonished and I, of course, am delighted with it…

Source : www.rolexmagazine.com


Source : http://static.rolex.com

Pour la petite histoire, Mercedes Gleitze réalise de nouvelles traversées historiques, comme celle du détroit de Gibraltar (entre l'Europe et l'Afrique) en 1928. Elle devient un célèbrité et plusieurs compagnies lui offrent des contrats pour endosser leurs produits, comme le thé Lipton, qui lui permit de battre la Manche! Avec l'argent qu'elle gagne, elle fonde plusieurs refuges pour les personnes sans-abri en Angleterre dans les années 1930. Elle eut trois enfants et décède en 1981.

Mercedes Gleitze plus tard dans sa vie.
Source : www.vintagewatchstraps.com
Pour sa part, Rolex continue à utiliser le nom de Mercedes Gleitze longtemps après son exploit. En effet, même en 2001, on voit des publicités où figure Gleitze. Et sur leur site web, Rolex racontent aujourd'hui l'histoire de la traversée historique. Ils le font toutefois en omettant le petit détail de sa seconde tentative. Leur description simplifiée de l'événement laisse croire qu'elle a porté la montre lors de sa première traversée. Une petite entorse à l'histoire que se sont permis les publicitaires de Rolex. Après tout, on ne s'empêtre pas toujours dans les détails* quand on construit (et entretient) une légende!!

Un extrait du site web de Rolex dédié à la Oyster et à Mercedes Gleitze.
Source : www.rolex.com/rolex-history/1926-1945.html


La Oyster aujourd'hui : une Rolex Oyster Perpetual 34.
Source : www.jomashop.com
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* Pour être vraiment fidèle aux détails, il faudrait mentionner que Mme Gleitze ne portait pas la montre à son poignet. Cela lui aurait nui lors de sa seconde traversée. La montre était probablement fixée à son maillot de bain.




dimanche 25 juin 2017

La montre de la semaine

La Uno de Botta Designs : une aiguille, c'est tout ce qu'il faut!

Souvent, on trouve la beauté dans la simplicité. C'est ce qu'a dû se dire Klaus Botta, designer industriel allemand, lorsqu'il a développé en 1986 la UNO. Il s'agit de la première montre moderne qui ne possède qu'une seule aiguille. Oui, une seule aiguille pour dire le temps! Comment faire? Comme la montre, le principe est très simple, comme le montre cette image :

Source : www.botta-design.de/en/one-hand-watch/

Donc, l'unique aiguille fait un seul tour en vingt-quatre heures. Il suffit d'adapter légèrement notre façon de lire l'heure et le tour est joué! Historiquement, les premières horloges n'avaient qu'une seule aiguille. Pensons même aux cadrans solaires!


Bien entendu, il ne s'agit pas d'une montre pour les amateurs de grande précision. Bien que la montre garde fidèlement l'heure grâce à un mouvement suisse au quartz, elle décevra l'amateur qui règle sa journée à la seconde près! Sur le site de la compagnie, voici comment on explique le concept : It is one of the great paradoxes of the modern world: watches that are accurate to the nearest second turn us into clock-watching slaves. They tempt us to leave everything to the very last second – deadlines, meetings, transport connections. As a result, we feel stressed and obsessed about keeping everything under control rather than calm and relaxed. We have become used to making everything complicated – and have forgotten how to keep everything simple*.


La UNO24 Black Edition, une variation sur le modèle original.
Source : www.botta-design.de
Dès son lancement, la UNO remporte un grand succès, si bien que d'autres manufacturiers se sont mis à imiter le concept de la Botta. Au nombre des imitateurs : la Skagen Ancher SKW6193, la Squarestreet Minuteman et la Slow Jo 19 :

La Skagen Ancher, qui triche un peu avec un guichet
où sont écrites les heures et les demi-heures.
Source : http://sundaylife.jp/skagen/ancher
La Minuteman de Squarestreet.
Source : Pinterest

La Slow Jo 19. Remarquez comment le zéro (minuit) est en bas du cadran.
Source : www.slow-watches.com

Du nombre, la Skagen est la plus abordable à $159. La Botta UNO, pour sa part, de détaille entre $722 et plus de $1500 pour les modèles avec un mouvement automatique. Le design, faut-il croire, a un prix!

Mais si vous avez le portefeuille vraiment bien rempli, certaines grandes marques horlogères comme Breguet ou Vacheron Constantin proposent aussi des créations du même type (voir le premier des deux articles cités ci-dessous). On pense aussi à MeisterSinger, une autre marque allemande qui se spécialise dans les montres à une aiguille. Leur Modèle No.1, présenté en 2001, est très classique (et très réussi!) :

Source : www.timeandwatches.com


Pour voir d'autres modèles, je vous suggère ces deux articles disponibles en ligne. Le premier montre entre autres que certaines anciennes horloges situées sur les devants d'édifices européens n'avaient qu'une seule aiguille :

- http://www.timeandwatches.com/p/single-hand-timepieces-in-watchmaking.html

- http://www.uniquewatchguide.com/single-hand-watches/


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C'est l'un des grands paradoxes du monde moderne: les montres qui sont exactes à la seconde près nous transforment en esclaves du temps. Ces montres nous amènent à tout laisser à la toute dernière seconde : délais, réunions, horaires de transport. En conséquence, nous stressons en tentant de tout maintenir sous contrôle plutôt que de demeurer calmes et détendus. Nous nous sommes habitués à tout compliquer - et avons oublié comment tout simplifier.





mercredi 21 juin 2017

Les types de montres

Partie 02 : la montre à chronographe

La montre à chronographe*, qu'on appelle aussi chronographe-bracelet, est probablement la plus masculine des montres. Chose certaine, jusqu'à l'arrivée des montres intelligentes, il s'agit sans aucun doute de la montre la plus utilitaire de l'histoire de l'horlogerie.

Une des premières montres à chronographe, développée en 1915
par la firme Breitling. Source : www.ablogtowatch.com
Une montre "normale", avec une trotteuse pour les secondes, fait déjà office de chronographe. Son défaut : après 60 secondes, il devient difficile de tenir le compte. Combien de fois ma trotteuse a-t-elle fait le tour du cadran? Une fois? Ou est-ce deux fois?

Pour répondre à ce besoin, on invente, dès le début du 19e siècle, une montre dotée d'une aiguille et d'un petit cadran supplémentaire pour marquer le temps de façon précise. Ce "gadget" supplémentaire, en terme d'horlogie, se nomme une complication**.

Le principe est assez simple : un bouton-poussoir sert à activer une trotteuse sur un petit cadran. Un autre cadran sert à marquer les minutes écoulées au chronomètre, normalement jusqu'à 30 ou 60 minutes. Certains modèles proposent même un troisième cadran pour mesurer les fractions de secondes. Une pression sur un autre bouton-poussoir sert ensuite à ramener toutes les aiguilles du chronomètre à zéro.

Au 20e siècle, on a poussé le raffinement technique afin de permettre la mesure simultanée de deux événements distincts sur la même montre. Cette complication supplémentaire se nomme une rattrapante. Il s'agit d'une aiguille supplémentaire qui, une fois le chronographe lancé, peut être arrêtée par pression d'un bouton sans interrompre la marche du reste du mécanisme. En poussant à nouveau sur le même bouton, cette aiguille ira "rattraper" le chronomètre et poursuivre le minutage avec lui. On nomme aussi ce système le chronographe double, ou "flyback" en anglais.

La Gallet Multichron, une montre avec une aiguille "rattrapante" servant à une double
mesure de temps. Source : wikipedia
D'abord seulement disponible sur les montres à gousset (de poche), on voit apparaître les chronographes sur les montres-bracelet au début du 20e siècle. Ils seront très utiles dans les tranchées pendant la Première Guerre mondiale. Les artilleurs s'en servaient pour minuter leurs tirs (ou celui de leur ennemi) : on mesurait le laps de temps entre le tir du canon et l'impact de l'obus. Il s'agissait d'une information très commode si vous deviez vous mettre à l'abri!

Une vieille publicité de la compagnie Minerva pour différents types de montres, dont
certaines à chronographes. Source : www.ablogtowatch.com

La montre à chronographe est aussi utilisée pour de nombreuses autres fonctions : pour prendre le pouls des patients, pour minuter des expériences scientifiques, ou bien pour estimer la vitesse d'un véhicule (un avion ou une automobile, par exemple). Dans ce dernier cas, la montre est donc utilisée comme tachymètre. En 1971, le film Le Mans voit l'acteur Steve McQueen porter une montre à chronographe Monaco de Tag Heuer. Cette compagnie était alors bien connue pour ses montres chronographes. Suite au film, le modèle Monaco devient immensément populaire et demeure à ce jour un des meilleurs vendeurs de Tag Heuer.

La Monaco de Tag Heuer et Steve McQueen dans le film Le Mans.
Source : http://iwmagazine.com

Le rôle joué par les montres à chronographes dans les missions spatiales contribue aussi à les faire entrer dans la légende, notamment quand les astronautes en détresse de la mission Apollo 13 utilisent leur Omega Speedmaster*** pour minuter l'allumage de leurs rétrofusées afin d'assurer leur retour sur Terre.

L'astronaute Jack Swigert avant la décollage de la mission Apollo 13, le 8 avril 1970.
On voit sur son avant-bras gauche une Speedmaster d'Omega.
Source : NASA
L'arrivée des montres au quartz et ensuite des montres à affichage électronique signent le coup de grâce des montres à chronographes traditionnelles. Plus précises, elles s'imposent comme instruments de mesure du temps, que ce soit dans les événements sportifs ou dans toute autre activité demandant une grande précision.

Toutefois, à cause de la tradition associée à ce type de montre, et probablement aussi à cause de leur élégance et de leur allure typiquement masculine, les montres à chronographe demeurent encore populaires aujourd'hui. Comme l'écrit un auteur, elles ne sont plus guère utiles "qu'à minuter la cuisson de votre steak", mais en posséder une vous lie à une riche tradition horlogère (Jason Heaton. Build the Ultimate Watch Collection).

Pour avoir dans ma collection une Casio numérique et une Seiko traditionnelle, les deux munies d'un chronomètre, je préfère de loin la Seiko, ne serait-ce que pour voir ces petites aiguilles s'actionner et découper le temps en tranches toujours plus fines!
Ma Seiko à chronographe : le cadran du bas mesure les secondes, celui de gauche les minutes
et celui du haut les fractions de seconds (1/20). Photo : François Cartier

Dans un prochain billet, je vous parlerai de la montre "journalière"!

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* On parle de chronographe dans le cas de montres équipées de cette complication. Les chronomètres sont les instruments de mesure précis et homologués de façon officielle.

** Quelques exemples de complications : l'affichage de la date ou du jour, un calendrier perpétuel, les phases de la lune, un second fuseau horaire.

*** La Speedmaster d'Omega était la montre officielle qu'utilisaient les astronautes de la NASA depuis 1965.