vendredi 27 octobre 2023

 

Les micro-marques, c'est quoi?

L’avènement du numérique et du web a transformé le monde de multiples façons. À l’heure du tout connecté, notre réalité nous met en contact plus que jamais avec une quantité quasi illimitée d’informations. C’est aussi cette nouvelle réalité qui a commencé à changer la façon dont nous achetons nos montres. 

La Wayfarer II de la compagnie américaine Mercer.
Photo : François Cartier

Les célèbres fabricants de montres comme Seiko, Citizen, Timex, Longines ou Omega sont plus présents que jamais. Mais à leur côté se trouve aujourd’hui une multitude de marques nouvellement apparues dans le monde de la montre-bracelet. De nouveaux joueurs comme la Cincinnati Watch Company, Jack Mason, Undone, Weiss, Martenero, Shinola ou Mercer Watch Company ont tous été fondés dans les années 2010 aux États-Unis. On assiste au même phénomène ailleurs dans le monde avec des marques comme Aevig, Farer Watches, Straton, Helgray, Draken Watches, Melbourne Watch Company, Vario, Vstelle ou Nezumi Studios. Il s’agit en fait d’un des secteurs de l’industrie horlogère qui connait la plus forte croissance

La plupart offrent des modèles d’entrée et de milieu de gamme et se retrouvent majoritairement sur des vitrines virtuelles. Cette catégorie de produits représente une adaptation du marché aux goûts de plusieurs consommateurs qui magasinent leurs garde-temps sur Internet. Ils ne veulent pas dépenser une fortune pour leur montre, mais cherchent néanmoins un objet de qualité à porter au quotidien. Ces nouvelles « micro-marques » profitent donc à plein de l’explosion du commerce en ligne propre au début du 21e siècle, tant avec leurs boutiques web qu’avec leur présence sur les médias sociaux comme Facebook ou Instagram. 

Cette Vario est inspirée des montres de tranchées de la Première Guerre mondiale.
Photo : François Cartier

 Avec l'avènement d'Internet, ces marques ont donc pu distribuer des montres directement aux consommateurs dans le cadre du commerce électronique, sans assumer les frais qu’on associe aux maques établies, comme les points de vente au détail, les budgets marketing et autres coûts associés. 

La micro-marque est donc une petite entreprise qui est généralement gérée que par une seule personne, ou à la limite une petite équipe d’enthousiastes. On peut les comparer aux jeunes pousses (les fameuses « startups ») dans le domaine des technologies. Elle ne fabrique pas ses propres montres. Une fois la phase du design terminée, la fabrication de prototypes est confiée à un intervenant externe. Le plus souvent, il s’agit de manufactures chinoises qui produisent les montres selon les spécifications du propriétaire de la micro-marque. Les mouvements, au quartz ou mécaniques, viennent des stocks de firmes spécialisées, comme Seiko et Miyota (propriété de Citizen) au Japon ou Seagull en Chine. 

Le NH35 de Seiko est problement un des mouvements
les plus utilisés dans les micro-marques.
Source : https://calibercorner.com/seiko-caliber-nh35a
Un des avantages de ces marques indépendantes est le coût. La plupart se vendent à des prix très concurrentiels, souvent bien en deçà de montres équivalentes de marques établies. Dans les montres de moyenne et haut de gamme, comme Hamilton ou Tissot par exemple, le nom de la compagnie ajoute souvent un certain « premium » au prix de vente. 



J’ai récemment acheté une Revelot. Il s’agit d’une entreprise née en 2017 et basée à Kuala Lumpur en Malaisie. Le modèle que je me suis procuré est la Universal. C’est une montre dont le design est inspiré de la célèbre Polerouter, un modèle classique de la marque Universal Genève et conçu en 1954 par le célèbre designer Gerald Genta. Ce dernier est connu comme le « Fabergé des montres ». On lui doit des modèles célèbres comme la Nautilus de Patek Philippe, la Constellio d'Omega ou la Royal Oak d'Audemars Piguet.

Photo : François Cartier

La Universal est une montre aux qualités intéressante : un boitier en acier inoxydable, un mouvement au quartz fabriqué par Seiko (une variante mécanique était aussi offerte), un bracelet en cuir, un verre saphir avec enduit anti-reflet, un cadran texturé au motif de "clous de paris" et des appliques luminescents suisses sur les aiguilles. Le modèle est proposé en plusieurs variantes. J’ai choisi la version « Tuxedo », un style classique de montre habillée dont les origines remontent aux années 1920. Il est caractérisé par un cadran où se trouve un ou plusieurs cercles concentriques de couleurs contrastantes. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une Rolex, pour 135$ CAN (en prévente), il s’agit d’un très bon rapport qualité-prix. 

Mais comment est-ce qu’un entrepreneur réussit à financer la fabrication et la mise en marché d’une montre à partir de rien ? Plusieurs se tournent vers des plates-formes de sociofinancement (typiques de l’ère du numérique !) comme Indiegogo ou Kickstarter. Le public peut soutenir financièrement la production d’un nouveau modèle. En retour, le consommateur reçoit un rabais appréciable sur le futur prix de vente de la montre qu’il choisit de commanditer. 

Un exemple de montre financée par le biais de Kickstarter
Source : www.kickstarter.com

Plus qu’un épisode anecdotique dans l’histoire de la montre au 21e siècle, l’exemple d’une plate-forme de sociofinancement Kickstarter montre comment le Web contribue à changer la façon avec laquelle l’offre horlogère fait son chemin jusqu’aux consommateurs. Entre 2011 et 2016, les jeunes marques horlogères amassent près de 87 millions de dollars US en contributions « sociales » venant de plus de 250,000 consommateurs (incluant un total de $3,5 millions provenant du Canada). Sur Kickstarter, les amateurs dépensent en moyenne 275$ par montre. Leur prix suggère qu’il s’agit en général de montres de bonne qualité. 

Infographie : François Cartier

Ce secteur des ventes horlogères attire même l’attention des observateurs du milieu financier. Le géant Bloomberg, spécialiste de l’information économique et financière, relève la montée spectaculaire des micro-marques : « (…) depuis leur création, ces opérations individuelles ont mis à profit l'accès à une fabrication mondiale de montres moins coûteuse et à un modèle de vente en ligne directe aux consommateurs qui a sapé le monde traditionnel de la vente au détail de montres. » 

Infographie : François Cartier

Il s’agit donc là d’une façon intéressante de se procurer de nouveaux modèles de montres qui, pour se démarquer du lot, proposent souvent des idées et des formes nouvelles. Et dans un marché de la montre-bracelet souvent sursaturé de modèles génériques, la diversité des options offerte par les micro-marques est la bienvenue. 

Comme pour tout type de bien de consommation, il faut toutefois demeurer prudent. Tous les projets de sociofinancement ne sont pas nécessairement couronnés de succès. Si le montant nécessaire au financement n’est pas atteint, le projet n’aboutira pas, ce qui peut être décevant, tant pour les bailleurs de fonds que pour les créateurs. Bien que notre mise de fonds soit remboursable, il est essentiel d’évaluer soigneusement un projet avant de s’engager à le soutenir. Il faut évaluer la crédibilité du créateur, la faisabilité du projet, de même que le type de garantie offerte sur la montre (deux ans est souvent le standard à rechercher). Lorsque possible, il est aussi recommandé d’examiner les avis des internautes, notamment en ce qui concerne le service à la clientèle. 

Photo : François Cartier

Il faut noter que même pour un projet financé, l’acheteur devra attendre plusieurs mois avant que la montre soit manufacturée, vérifiée et livrée, car la production matérielle ne commence que lorsque le financement est garanti. 

La ligne du temps de financement et de production 
de la Pioneer de la marque Vstelle.
Source : www.kickstarter.com

Mais en fin de compte, acheter une montre issue d’une micro-marque vous assurera de posséder un produit que peu de gens posséderons dans votre entourage. Bien que certains ne jureront que par les marques bien établies, d’autres aimeront cette exclusivité !

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jeudi 7 septembre 2023

Ces montres venues d'Inde

Ceci est l’histoire d’une compagnie qui produisait à la fois des montres, des machines-outils à commande numérique et … des tracteurs! D’où nous vient cette entreprise à la production si diversifiée? Pas des États-Unis ou d’un pays de l’Union Européenne. Cette compagnie se nomme HMT Limited et a été fondée en Inde!

HMT est l’abréviation de Hindustan Machine Tools Limited. Il s’agit d’une compagnie détenue par l’état indien et dont le siège social se trouvait à Bangalore, une grande ville de 8 millions d’habitants située dans le sud de l’Inde. Fondée en 1953, HMT s’est initialement spécialisée dans la fabrication de machines-outils. Elle diversifie ensuite ses activités en mettant sur le marché des machines de moulage de fer et de plastique, des presses d’imprimerie, de roulements à billes, de même que des tracteurs avec le soutien de Zetor, une entreprise tchèque spécialisé dans la fabrication de matériel agricole. La naissance ce cette grande entreprise avait pour but de moderniser l’Inde, alors fraîchement sortie de l’ère coloniale britannique.

Source : Google Maps

Les montres représentent une des nouvelles avenues manufacturières pour HMT. C’est en 1961 que commence la production, dans une usine à Bangalore. Vu la rareté de l’expertise horlogère en Inde, HMT crée un partenariat avec Citizen, une firme horlogère japonaise fondée en 1930. Le but était de donner à l'Inde sa propre industrie horlogère, surtout face aux importations massives de montres en provenance de Suisse.

Source : https://www.windingritual.com/hmt-janata-watch-india-history-tribute/

Les premières montres produites par l’usine sont officiellement lancées par Jawaharlal Nehru, le premier ministre indien de l’époque. À cette époque, il s’agit de montres mécaniques. À partir de 1972, HMT agrandit ses installations et construit de nouvelles usines pour produire ses montres. On en viendra à exploiter pas moins de quatorze lieux de fabrication, tous en Inde. 

Le premier ministre Nehru lors de l'inauguration de la première usine de montres de HMT.
Source : https://watchesbysjx.com/2016/07/hmt-watches-the-rise-and-fall-of-indias-watchmaking-titan.html 

Un des objectifs est l’autosuffisance, c’est à dire de fabriquer toutes les pièces pour les montres et leurs mouvements afin de proposer des produits 100% « Made in India ». Dans les années 1980, pour suivre la tendance du marché, on convertit partiellement l’usine de Tumkur (à quelques kilomètres au nord-est de Bangalore) pour produire des montres au quartz. La japonaise Citizen est encore présente pour aider HMT dans cette transition technologique. Les premières montres au quartrz sont toutefois assez chères. HMT décide donc de continuer à prioriser la fabrication de montres mécaniques.

L'intérieur d'une usine horlogère de HMT.
Source : https://www.hmtwatches.in/about_us


L'usine HMT de Bangalore.
Source : https://www.thehindu.com/news/cities/bangalore/Clock-stops-ticking-at-HMT/article14213394.ece

Dans les années 1970 et 1980, HMT devient le plus important fournisseur de montres en Inde. Signe de sa popularité, les gens doivent souvent faire la queue devant les magasins pour s’en procurer, ou pire se mettre sur une liste d’attente en espérant obtenir leur montre quelques mois plus tard. On ne se surprend pas que HMT elle-même s’identifie alors comme la « gardienne du temps en Inde ». En 2000, la compagnie atteint le cap 100 millions de montres produites! Vers 2012-2013, plus de 1000 personnes travaillent à produire des montres.

Quatre modèles : la Janata, la Chirag, la Sona et la Pilot.
Photo : François Cartier

Différents modèles sortent des usines de HMT. Parmi les plus populaires, on retrouve la HMT Pilot, la HMT Sona (qui veut dore or, beauté, sagesse), la HMT Janata (qui signifie « le peuple »), la HMT Chirag (« lumière »), la HMT Konihoor (« montagne de lumière ») et la HMT Braille pour les personnes non-voyantes.

La beauté toute simple de la Chinar, qui veut dire "bel arbre" en hindi.
Photo : François Cartier

Il est important de préciser que les montres produites par HMT s’adressent surtout au grand public avec un prix d’achat raisonnable. Par exemple, en 1972, une montre HMT se vent 112 roupies (moins de 2 dollars canadiens à l’époque). Encore aujourd’hui, dans le marché de l’usager, les montres HMT demeurent parmi les plus abordables. Il n’est pas inhabituel d’en retrouver pour quelques dizaines de dollars en ligne (*).

Source : eBay

Malgré sa popularité et son succès initial, la division des montres de HMT connaît un lent déclin à la fin du 20e siècle. Ceci s’explique par la concurrence grandissante des montres au quartz, notamment celles produites par Titan, un concurrent indien appartenant au fameux groupe Tata. On disait que si HMT était la gardienne du temps, Titan était la « styliste de votre poignet ». En effet, les montres HMT sont demeurées assez classiques, alors que les concurrents offrent des montres beaucoup stylées et modernes.

De plus, une mauvaise gestion de la compagnie, une lenteur marquée lors de prises de décisions, trop de gestionnaires pour le nombre d’employés et d’importantes pertes financières contribuent au déclin final de la marque. La compagnie ferme graduellement ses usines à partir de 2014 pour cesser complètement ses activités deux années plus tard. La production de montres avait duré 53 ans!

Aujourd’hui, bien que l’aventure horlogère de HMT soit chose du passé, les montres qui subsistent (et il y en a BEAUCOUP!) sont des témoins d’une période importante de l’histoire de l’Inde et de l’histoire des montres en général. C'ets ce qui explique que plusieurs collectionneurs affectionnent ces petites montres. Encore très fiables aujourd’hui, elles offrent la possibilité de porter un petit témoin de l’âme indienne au poignet!

Source : https://www.windingritual.com/hmt-janata-watch-india-history-tribute/
 

jeudi 13 juillet 2023

 On pige dans le patrimoine!

Comme c’est le cas pour la plupart des produits de consommation, le marché de la montre n’échappe pas au dictats des tendances. Après tout, on aura beau parler des merveilles techniques que sont les montres, de leur esthétique et de leur rôle dans la vie quotidienne des gens, le monde de la montre-bracelet, c’est aussi (et surtout) une question de business et de marketing!

Depuis maintenant une bonne décennie, les fabricants de montres pigent de façon plus fréquente dans leur patrimoine pour offrir des versions modernes de leurs classiques, toujours dans le but de susciter l’intérêt des amateurs. C’est d’ailleurs un phénomène présent dans plusieurs autres secteurs. Pensez aux rééditions de certains types de voitures, comme la Dodge Challenger, la Fiat 500, le Ford Bronco ou la Mini Austin.

Les amateurs de montres se voient aujourd’hui offrir un large éventail de modèles modernes (neufs) qui s’inspirent directement du passé. En voici quelques exemples :


La Marlin de Timex

Il s’agit d’une des lignes de montres les plus emblématiques de Timex. Lancé dans les années cinquante, ce modèle se voulait résistant à l’eau, d’où le nom du poisson (« Marlin » est un espadon en français) et le « Waterproof » qu’on retrouve sur le cadran. La Marlin est offerte par Timex, en différentes versions, jusque dans les années 1980. 

Une Marlin datant de 1974.
Photo : François Cartier

C’est un des premiers modèles que Timex ramène sur le marché. La version moderne, lancée en 2017, est très ressemblante à l’originale. Elle propose un diamètre de « seulement » 34 millimètres, une taille bien plus modeste que la plupart des montres actuelles. Son apparence est très fidèle à l’originale, notamment au niveau du styler des chiffres sur le cadran. La principale différence est le matériau du boitier, qui pour la version de 2017 est fait d’acier inoxydable et non d’étain chromé. De plus, le modèle original est équipé d’un mouvement mécanique fabriqué par Timex. La Marlin moderne fonctionne plutôt avec un mouvement fabriqué en Chine. Ah oui, et le prix! En 1960, une Marlin coûtait environ 10$, alors qu’il faut débourser 210$ aujourd’hui*.

La Marlin moderne, à gauche, et celle qui lui a servi d'inspiration.
Photo : François Cartier

 

La publicité de Timex pour la réédition de la Marlin.
Même l'infographie se veut d'un style très "vintage"!
Source : Timex.com


Un extrait du catalogue Timex pour l'année 1960.
Source : https://heritage1854.com/


La Chronograph C de Bulova

Comme Timex, Bulova est une marque bien établie qui possède une riche histoire. Fondée en 1875 aux États-Unis, Bulova est maintenant la propriété du géant japonais Citizen. Et comme Timex, Bulova a récemment commencé à puiser dans ses anciens catalogues afin de ressusciter quelques-uns de ses modèles emblématiques. 

L’un d’entre eux est un chronographe mis en marché en 1970. Baptisé bien ordinairement « Chronograph C », il s’agissait d’une montre avec un style très flamboyant qui était aux antipodes de ce que Bulova produisait habituellement à cette époque. Une Bulova, c’était habituellement une montre au look sobre et classique. Et voilà qu’arrive cette montre sportive aux couleurs vives, d’une diamètre largement supérieur aux autres montres de l’époque (43mm), dotée de surcroit d’un chronographe! Comme le disait la publicité à l’époque, « un regard vous permettra de connaître le temps écoulé, quelle heure il est et quel chrono vous faites »!

Source : https://www.watchtime.com

Étrangement, la Chronograph C n’est seulement offerte que pendant une année. N’empêche, elle devient un des modèles emblématiques de Bulova. Originalement vendue pour 125$ (US), elle est encore très prisée par les collectionneurs. Les exemplaires originaux se vendent aujourd’hui pour plusieurs milliers de dollars. À cause de ses couleurs bleu, blanc et rouge (et de sa provenance américaine), elle est alternativement surnommée la « Patriot » ou la « Stars and Stripes ».

La Chronograph C originale.
Source : https://www.fratellowatches.com

Il ne faut donc pas se surprendre que Bulova ait décidé dès 2017 d’inclure une version moderne de la « C » dans sa série « Archives »**. La nouvelle version reprend de façon assez fidèle le look de la montre originale : mêmes couleurs et aiguilles, une lunette dentelée (l’anneau métallique qui encadre le verre), absence de cornes (les petits « bras » qui servent à fixer le bracelet), de même qu’un bracelet de mailles en acier inoxydable.

La réédition lancée en 2017.
Photo : François Cartier


La version « 2.0 » présente toutefois quelques différences. Au lieu d’un mouvement mécanique suisse, la C moderne est équipée d’un mouvement au quartz. L’intention ici est de garder le nouveau modèle à un prix relativement raisonnable, sous les 1000$ (la montre se vend 750$ US). De plus, un mouvement au quartz est bien plus simple à entretenir que la mécanique complexe d’un chronographe! Notons que Bulova a fait amende honorable au chapitre du mouvement. Ce dernier est une version propriétaire dite « à haute fréquence » qui offre une très grande précision (le diapason de quartz vibre à une fréquence de 262 kHz, soit 262,000 fois par seconde; ceci sert d’étalon de mesure pour le petit moteur électrique qui actionne les aiguilles d’une montre).

L’autre différence notable est la taille. Alors que la C originale faisait 43mm de diamètre, la réédition affiche une dimension de 46mm. Il s’agit de formes assez généreuses, mais la montre ne paraît pas trop grosse au poignet grâce à l’absence de cornes.



La « banane » de Tissot

Avec les deux exemples que nous venons de voir, c’est un passé relativement récent qui a servi d’inspiration à Timex et Bulova. Pour sa part, la marque suisse Tissot est retournée encore plus loin en arrière pour remettre une ancienne montre au goût du jour.

Notons d’abord qu'à l'instar des autres marques, Tissot a aujourd’hui sa propre collection de montres revues au goût du jour. On peut lire, sur son site web : « La collection Tissot Héritage rend hommage à l'histoire de Tissot, fondée en 1853 au Locle, en Suisse, en revisitant certains anciens modèles dans un style contemporain » .

Le modèle que nous présentons ici est la Tissot Heritage Banana***, Édition du Centenaire. Pourquoi associer le nom de ce fruit à une montre? C’est que cette Tissot, originalement lancée en 1916, possède un boitier de forme allongée et incurvée afin de bien épouser le poignet de son propriétaire.

Source : catawiki.com

En plus de ses formes distinctives, cette Tissot arbore un cadran avec des chiffres de style Art nouveau. Ce mouvement artistique est né à la fin du 19e siècle en réaction aux anciens styles décrit comme « sclérosés ». L’Art nouveau s’inspire de la nature et des formes courbes, d'où la forme assez exhubérante des chiffres sur le cadran.

La Tissot Banana est donc un bel exemple d’une application de ce style au monde horloger. De plus, à cette époque, produire une montre au boitier incurvé représentait tout un défi, surtout au niveau du mouvement mécanique qui devait être assez petit pour s’ajuster à la forme particulière de la Banane!

La réédition de 2016 est une adaptation assez fidèle du modèle original. Même forme, même style, même… courbature! Tissot a aussi conservé les aiguilles de type « Breguet » et une couronne oignon. Comme pour la Bulova, on a toutefois choisi de remplacer le mouvement mécanique par un équivalent au quartz ultra-fin (vous savez, à case de la banane!). Plus simple et moins cher. La montre est offerte avec un cadran noir, doré ou blanc. 

La version moderne de la Banane.
Photo : François Cartier

Pour la petite histoire, Tissot n'a pas l'exclusivité des montres invurvées. Un autre modèle très populaire est la "Curvex" de la marque américaine Gruen. Même si ce modèle allait devenir un des plus populaires de la comagnie, la Curvex n'est arrivée sur le marché qu'en 1936, soit bien après la Banane!

Une publicité pour la Curvez de Gruen, qui montre le défi de mettre un mouvement mécanique dans un boitier incurvé. Pour ce faire, Gruen a développé un mouvement mécanique ultra-mince.
Source : eBay.com

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Voilà trois exemples qui montrent que le patrimoine a la cote en ce moment chez les fabricants de montres. Seulement pour les marques utilisées comme exemple dans ce billet, on retrouve de nombreux autres modèles qui partagent une partie de leur ADN avec des modèels plus anciens. Les liens ci-dessous vous aménera vers les sites de ces compagnies consacrés aux rééditions :

Bonne lecture!


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* En devise américaine. 10$ en 1960 équivaut à environ 100$ aujourd’hui.

** La série « Archives » de Bulova propose justement des modèles neufs inspirés du passé. 

*** Le véritable nom de la montre est « Classic Prince »

 


dimanche 14 mai 2023

La montre d’infirmière… ou la tête à l’envers!

Depuis son invention, la montre est souvent considérée comme un bijou. Celle-ci n’est-elle pas généralement vendue par des bijoutiers, ou sinon dans l’allée des bijoux dans les grands magasins? Historiquement parlant, il est vrai que dès la Renaissance, on retrouve des montres miniatures fixées sur des bagues, ou bien portées au bras comme une pièce de joaillerie, ou bien sur une broche ou un pendentif.

La valeur esthétisante de la montre ne fait aucun doute. Encore de nos jours, elle sert autant à lire l’heure qu’à décorer nos poignets. L’utilisation de métaux précieux, comme l’or, l’argent ou le titane, n’est qu’une autre manifestation du désir de rendre beau un objet du quotidien qui se veut aussi pratique.

Au 20e siècle, on voit néanmoins apparaître plusieurs types de montres où le côté esthétique s’efface au profit de fonctions bien spécifiques.  Pensons par exemple aux montres de plongée, avec leur lunette rotative servant à minuter le temps passé sous l’eau; ou la montre d’aviateur, qui était l’un des outils de navigation des pilotes et qui affichait l’heure de façon claire sur un cadran de très grande taille.

Ces deux types de montres sont demeurés très populaires et plusieurs marques, des plus humbles aux plus exclusives (Timex, Casio, Seiko, Laco, Rolex, Brietling, IWC…), en offrent encore aujourd'hui (à des gens qui n'iront jamais faire de plongée ou qui ne piloteront pas d'avion!). Un autre type de montre de ce genre est la montre d’infirmière. Comme son nom l’indique, elle servait au personnel infirmier, notamment en Europe et en Amérique du Nord.

Une montre d'infirmière en argent datant des années 1930.
Source : https://www.1stdibs.com/

Le personnel offrant des soins dans les hôpitaux a tout d’abord porté des montres de poche, ou bien de petites montres suspendues à un collier. La montre était très utile pour prendre les signes vitaux, ou consigner l’heure de prise de médicaments, par exemple. Cette façon de porter des montres avait toutefois ses inconvénients. Autant un médecin qu’une infirmière avait souvent besoin de ses deux mains pour prodiguer des soins. De plus, il était peu hygiénique de sortir une montre de sa poche alors qu’on avait peut-être les mains souillées de divers fluides! La montre-bracelet, quant à elle, était souvent interdite pour ces mêmes raisons d’hygiène, car elle se trouvait à proximité des mains et pouvaient potentiellement transporter des bactéries et autres éléments nuisibles.

On ne connaît pas la date exacte de l’invention de la montre d’infirmière, mais il est raisonnable de penser que son évolution suit celle de la montre-bracelet : une lente apparition à la fin du 19e siècle, puis une utilisation plus soutenue dans les années suivant la Première guerre mondiale. La professionnalisation du nursing (grâce à des femmes comme Florence Nightingale) à la même époque a aussi joué un rôle dans l’utilisation des montres par les infirmières. 

Une infirmière portant une montre sur son uniforme. Vers 1960.
Source : Pinterest

En Grande-Bretagne, la création du National Health Service (NHS) en 1948 permet notamment de réguler le type d’uniforme porté par les infirmières : “Wrist watches must not be worn but securely pinned (similar to a fob watch) to the uniform to prevent any hazard to patients” ("Les montres-bracelets ne doivent pas être portées mais solidement épinglées (comme une montre à gousset) à l'uniforme pour éviter tout danger pour les patients").

En gros, la montre d’infirmière est une petite montre de poche qui est fixée à l’envers, avec la position de 12 heures (midi ou minuit) pointée vers le bas. On l’accroche sur le haut de la poitrine de l’uniforme, généralement avec un ruban de tissu ou de cuir, ou bien une très courte chaînette en métal. Ainsi placée, il ne suffisait à l’infirmière que de baisser le regard pour lire l’heure, tout en gardant ses deux mains libres.

Cette montre, vendue par la chaîne de bijoutiers montréalais Opera, date des années 1960-70.
Source : Collection François Cartier

Même la célèbre Timex offrait des modèles pour les infirmières!
Source : Collection François Cartier

Les montres d’infirmières sont moins utilisées de nos jours, mais elle demeure populaire dans certaines parties du monde, comme en Grande-Bretagne. Il est même fréquent de voir de jeunes diplômé(e)s en sciences infirmières en recevoir comme cadeau lors de leur graduation.



Un exemple de montre d'infirmière vendu de nos jours.
Source : Amazon

Dans les hôpitaux, les règles sur le port de la montre varient d’un endroit à l’autre. Lorsque permises, les montres-bracelet doivent être faciles à lire, résistantes à l’eau et faciles à nettoyer, comme celles qui sont équipées de bracelets en silicone. De plus, l’arrivée des montres intelligentes a donné aux infirmières certains avantages (minuteurs, rappels, etc.). 

Au final, toutefois, la montre, qu’elle se porte au poignet ou sur la poitrine, est de moins en moins présente dans les hôpitaux. Dans les chambres, les salles de traitement ou les postes de garde, l’heure est affichée sur de nombreux instruments électroniques, ordinateurs ou autres appareils faisant partie du quotidien du personnel soignant. Comme dans bien d’autres secteurs, le numérique a bouleversé des habitudes qui étaient pourtant solidement ancrées dans notre histoire!

lundi 2 janvier 2023

La montre-bague : une coquetterie horlogère

La montre se trimballe de plusieurs façons : fixée au poignet par un bracelet, attachée au bout d’une chaîne, portée dans une poche, ou même intégrée à différents types d’objets usuels, comme un briquet ou un calepin de notes.

Au-delà de sa fonction purement utilitariste (donner l’heure), la montre est aussi une façon de s’exprimer. Le style ou le type de montre que l’on porte nous permet de nous distinguer, comme le font les vêtements ou notre coupe de cheveux. Il n’est donc pas surprenant qu’un joaillier eut un jour l’idée d’intégrer une montre à une bague. Un des premiers à le faire serait un horloger français du nom de Pierre-Augustin Caron. Le roi Louis XV lui commande quelques pièces horlogères, dont une bague dotée d’une montre pour Madame de Pompadour.

Les premières montres montées sur des bagues datent donc du milieu du 18e siècle. Ceci est rendu possible grâce aux progrès de la science horlogère. À cette époque, on commence à réduire de façon significative la taille du mécanisme qui anime les montres et horloges. 

La montre-bague demeure un phénomène marginal dans le monde de l’horlogerie. Elle est surtout réservée aux mieux nantis qui veulent parer leurs mains d’objets d’art uniques et originaux. De plus, il s’agit essentiellement d’un objet qui s’adresse aux femmes. Pendant le 20e siècle, des modèles produits par Jaeger-Lecoultre, Cartier et Rolex sont conçus avec des matériaux nobles comme l’or ou le platine, et sont souvent ornés de diamants ou d’émeraudes.

Une montre-bague créée par Jeager-Lecoultre, ca. 1950.
Source : Pinterest

Une luxueuse montre-bague produite par la Maison Cartier, ca. 1920. Elle a été vendue 42,000$ (US) lors d'un encan en 2013.
Source : Bonhams

Malgré tout, il arrive quand même de dénicher des exemplaires destinées au commun des mortels. J’en ai trouvé une l’été dernier dans une brocante. La marque est inconnue car le cadran est dépouillé de toute inscription, à l’exception de la mention « Swiss Made » sous le marqueur des six heures (ce qui est requis pour les pièces horlogères provenant de Suisse). 



Le dos porte les inscriptions « Fond acier inoxydable. Swiss Made ». La bague elle-même est d’un style assez simple avec un anneau qui se divise en deux branches pour supporter le boitier de la montre. On peut y lire « Plaque 10G », ce qui signifie qu’elle est plaquée d’or de 10 microns. Une petite touche de luxe, mais rien de très extravagant. Pour donner une idée de la taille d’un tel objet, sont diamètre fait tout juste 15 mm!


Le mouvement mécanique qui se trouve derrière le cadran est l’élément qui nous offre le plus de renseignements sur cette montre-bague. Le mouvement est d’origine suisse, comme nous l’indiquait la mention sur le cadran. Il est fabriqué par la firme Adolph Schild SA, un des plus importants fournisseurs de mouvements établis en Suisse. Vu sa petitesse, c’est un mouvement simple, car il est hors de question de le complexifier avec des fonctions additionnelles, comme celle qui permet d’afficher la date. Une aiguille des heures, des minutes et des secondes, voilà tout ce qu’il faut! Notons que lors de son acquisition, elle ne fonctionnait pas, car le balancier (une des pièces du mouvement) était brisé. J’ai réussi à en un dénicher un identique sur eBay, ce qui m’a permis de faire une réparation somme toute assez facile.



Les bases de données en ligne sur les différents calibres de mouvements de montres nous indiquent que ce mouvement en particulier (AS1977) a été produit dans les années 1970. Ceci nous permet donc de situer notre montre-bague dans le temps.

Plus de recherches permettraient peut-être de savoir s’il existait à Montréal des bijoutiers ou des chaînes de magasins où était vendu ce type de montre. Ou peut-être que le propriétaire original de cet objet l’avait acheté en Europe? Voilà le propre des montres vintage qu’on se procure. Peu est connu de leur première « vie ». Tout ce qu’on peut faire est de leur donner un peu d’amour, d’en profiter aujourd’hui et de prolonger leur vécu du mieux que l’on peut!